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3 euros de FDP pour des livres

L'annonce d'Amazon
L'annonce d'Amazon

Cette annonce, beaucoup l'ont reçue par mail le 2 octobre 2023. Elle venait d'Amazon, et elle annonçait une augmentation des frais de port pour toute commande de livres neufs en-deçà de 35€ (uniquement composés de livres neufs, il est très important de le préciser) à partir de demain, le 7 octobre 2023. Il s'agit d'une réglementation qui fait suite à la loi Darcos, promulguée le 30 décembre 2021, une loi qui nous vient de Laure Darcos et dont l'objectif est de "conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs".

Cette réglementation qui impose ces fameux 3€ de frais de port sur les commandes de livres neufs a été mise en place à la suite des pressions faites par les libraires indépendants, qui se sentaient jusqu'ici floués par le fait qu'eux-mêmes ne pouvaient commander de livres gratuitement pour leurs clients, tandis que les géants du net tels qu'Amazon pouvaient les faire parvenir à leurs clients pour 0,01€. Une somme ridicule, il faut le dire, qui a été mise en place afin qu'il y ait des frais de port. Oui oui, juste ça, parce qu'avant de devoir payer ce petit centime ridicule, les envois de livres neufs par Amazon ne coûtaient strictement rien aux clients. La loi Darcos a imposé des frais de port sur ces articles, et Amazon s'y est plié... à sa manière ! Eh oui, en mettant 0,01€, il y a des frais de port, et cela durait depuis 2014, quand bien même ils sont ridicules. Mais il y en a ! Ainsi, Amazon a en quelque sorte contourné la loi. Et c'est de là que vient cette réglementation qui impose désormais une somme fixée à 3€ de frais de port pour toute commande de livres neufs de moins de 35€. Ainsi, cette réglementation vise surtout Amazon. Mais en réalité, elle concerne tous les sites web qui vendent des livres neufs en France, donc on comprend également la Fnac, Cultura, Carrefour et j'en passe... Alors d'un côté, nous avons les fervents défenseurs des sacro-saints libraires qui nous disent qu'il fallait bien un minimum de frais de port pour que les géants du web (surtout Amazon) ne puissent plus marcher sur leurs platebandes et que les gens soient plus intéressés à venir commander en librairie, mais de l'autre, on se retrouve dans une situation où non seulement tout le monde n'a pas de librairie à moins de 10km à la ronde, mais en plus, cette réglementation dessert complètement ma profession d'écrivain indépendant. Eh oui, car à partir du 7 octobre prochain, vous ne pourrez plus vous procurer mes livres à leur prix + 0,01€. Vous vous procurerez mes livres à leur prix + 3€. Parce que, soyons honnête, y a-t-il beaucoup de clients qui passent commande de plus de 35€ de livres neufs d'un coup ? Oh il y en a, c'est certain ! Mais est-ce la majorité des lecteurs ? Disons-le clairement : non ! La plupart du temps, les lecteurs achètent leurs livres pratiquement un par un, parce qu'ils marchent au coup de cœur.

Il y a aussi un autre problème de taille en ce qui concerne ma profession. En effet, les écrivains indépendants passent tous par des plateformes qui leur permettent de vendre leurs livres en les faisant imprimer à la demande, et donc à la commande (ce qui n'est pas un mal pour l'écologie, en fait, contrairement aux maisons d'édition qui peuvent commander des centaines voire des milliers d'exemplaires d'un même livre qui pourraient leur rester sur les bras <- bon, dans l'ensemble ils vont quand même éviter cela, car le trou financier deviendrait vite béant, notamment au vu du prix du papier aujourd'hui). Et le gros problème qui se pose, c'est pour le lecteur qui ne voudra s'acheter qu'un livre ou deux. Il paiera de facto 3€ de frais de port en plus du prix des livres. Ca, ou il devra attendre d'avoir déniché suffisamment de livres qui l'intéressent pour atteindre 35€ de livres neufs (je fais cette précision à chaque fois, parce qu'elle est vraiment important, il s'agit bien d'un palier uniquement composé de livres neufs, on ne pourra pas contourner cette réglementation en prenant un ou deux livres et autre chose à côté). Pour l'auteur, deux risques : soit il va attendre des jours voire des semaines que le lecteur ait trouvé suffisamment de livres pour atteindre les 35€ qui lui permettraient de ne payer que 0,01€ de frais de port, soit, pire, le lecteur renoncera finalement à acheter son livre parce qu'à force de chercher, il aura trouvé d'autres livres qui vont l'intéresser davantage. Dans les deux cas, ça ne rend en aucun cas service à l'écrivain indépendant.

Dire que cette réglementation est faite dans l'unique but de mettre fin à la quasi-gratuité des frais de port sur les livres, c'est une chose. Mais il aurait été vraiment bien, avant de promulguer ça, de débattre sur le fait que cela risque de poser de gros problèmes pour les écrivains indépendants qui ne peuvent pas compter sur les libraires qui sont les responsables de la promulgation de cette réglementation. Parce qu'à moins de vendre ses livres à un prix très élevé, quel indépendant peut faire figurer ses livres chez un libraire ? Pratiquement aucun. Pour la bonne et simple raison que les sacro-saints libraires prennent pas moins de 30% du prix des livres qu'ils mettent en rayon. Le pire, c'est quand on en voit certains pleurer pour la perte de leur marge. Pour illustrer mes propos, je reprendrai ceux d'un gérant associé d'une librairie qui a été interrogé par FranceTVInfo et qui a dit ceci : "C’est vrai qu’on n'a pas de site Internet, mais on a quand même des clients qui nous commandent des livres et qui souhaitent se les faire expédier. Donc en général, c’est entre 5% et 8% de notre marge, ça nous coûte assez cher." (source : FranceTVInfo)

Si je devais mettre mon dernier roman en date, "Pour l'amour d'une rose", en rayon, le libraire me prendrait environ 30% de son prix (en réalité, c'est entre 25 et 40%, choix à l'appréciation du libraire lui-même), soit 2,70€ sur les 9 que coûte un exemplaire. Le problème, c'est que ma marge sur ce livre-là, elle est de 1,25€ chez Amazon. Le reste des 9€ est décomposé comme suit : 4,15€ pour l'impression et 3,60€ pour les poches d'Amazon (ça peut paraître énorme, mais Amazon reste le plus généreux envers les auteurs de tous les acteurs du livre auto-édité, n'en déplaise à ses détracteurs). Du coup, si le libraire me prend 2,70€ pour un exemplaire de "Pour l'amour d'une rose", que me reste-t-il ? Eh bien c'est simple : non seulement je n'aurais plus aucune marge, mais en plus je perdrais 1,45€ pour ce seul exemplaire. Ainsi, non seulement les ventes de livres par Internet risquent de chuter, mais en plus, les écrivains indépendants ne s'y retrouvent pas avec les librairies pour la grande majorité, à moins de choisir des prix élevés qui donneraient encore moins envie aux lecteurs d'acheter. Nous voilà bien... On remercie donc les libraires de réduire les chances aux écrivains indépendants de vendre un exemplaire de leurs livres. Tout ça pour ne pas perdre "5 à 8% de leur [sacro-sainte] marge"... On en parle quand, de celle des auteurs, dans l'histoire ? Ah bah on n'en parle pas. C'est vrai que c'est mieux. Ce n'est pas comme si l'auteur était le maillon le plus important dans la filière du livre. Ah bah non, ce sont les revendeurs qui y perdent trop, alors il vaut mieux valider des réglementation pour les défendre, eux. Par contre, penser à une réglementation qui rémunère mieux les auteurs, on y pensera peut-être dans une autre vie.

Selon moi, il n'y aurait eu qu'un seul cas où une réglementation sur des frais de port pour des livres aurait pu prendre sens : ça aurait été de généraliser les frais de port de 0,01€ pour l'envoi de livres pour tout le monde. En effet, envoyer un livre de 250 pages par la Poste coûte aujourd'hui plus de 5€, ce qui représente parfois pour le lecteur qui les paie 50% du prix du livre à ajouter pour se le faire livrer. A moins de se faire offrir un rabais voire la suppression de ces frais de port, mais rares sont les auteurs indépendants qui peuvent se permettre cela. Pour ma part, je ne pourrais pas le faire, et c'est bien pour cette raison que je ne propose pas d'envoyer mes livres moi-même. En effet, commander mes propres livres me coûte des frais, certes dégressifs en fonction du nombre, mais je ne peux pas non plus me permettre de passer une commande de 50 ou 100 exemplaires de chacun d'entre eux sans être certaine de les vendre, et puis il faut les stocker aussi. Et il faudrait en plus que je débourse 5€ en moyenne en frais de port pour en renvoyer un à un lecteur, sans compter le prix de l'enveloppe à bulles. Soyons honnête, ce n'est pas possible de s'y retrouver, et je ne peux pas me permettre de répercuter les doubles frais de port aux lecteurs. Ainsi, je ne propose pas de vendre mes livres en physique moi-même, parce que je ne peux financièrement pas le faire.

Mais plutôt que de demander d'imposer ce centime d'euro symbolique à tous, on a donc préféré imposer 3€. Pire encore, les libraires voulaient 4,50€. Parce qu'eux-mêmes paient trop cher leurs propres commandes de livres pour leurs clients. Bien que ce soit une réalité qu'ils paient trop cher, ils ont pris la chose complètement à l'envers en voulant faire augmenter les frais de port pour leurs concurrents plutôt qu'en demandant un rabais pour eux-mêmes. Résultat, ça dessert tout le monde. On applaudit des deux mains les libraires. Mais aussi la ministre de la culture, Rima Abdul Malak, et le ministre de l'économie Bruno Le Maire qui ont signé cet arrêté, sans même se soucier du mal que cela pourrait faire pour les indépendants. Pour l'anecdote, la France est le SEUL pays à mettre en place une telle réglementation. Et pendant ce temps, on a le délégué général du Syndicat de la Librairie Française, Guillaume Husson, qui ose nous dire que les 35€ minimum pour imposer les 3€ de frais de port, ce n'est pas assez. Citation : "C'est le prix d'un livre et d'une BD, on y arrive vite". Ces gens vivent sur la lune, très clairement... Car non seulement il faut vraiment le vouloir pour grimper à 35€ avec seulement un livre et une BD, mais en plus, en ce qui me concerne, en 10 ans d'édition en indépendance (eh oui, mon premier roman est en circulation depuis décembre 2013), jamais je n'ai eu le moindre lecteur qui m'a pris pour 35€ de livres, et c'est même déjà une énorme chance lorsqu'il y en a un qui m'en prend deux d'un coup ! Quant à la Fnac, ils nous rappellent que ces frais de port ne touchent que les livres neufs, pas ceux d'occasion, et ils poussent donc les lecteurs à se diriger vers de l'occasion. Quid des chances pour un auteur indépendant de gagner le moindre centime quand son propre livre est revendu par un de ses lecteurs ? Aucune, puisqu'il n'y a que le magasin qui revend le livre qui y gagne quelque chose. Et déjà, pour qu'un lecteur parvienne à revendre un livre auto-édité, il faudrait un véritable miracle. Car, dans la croyance populaire, à la base un livre auto-édité est forcément un livre qui a été refusé par les maisons d'édition, et donc pas terrible, mais en plus, si le lecteur qui en a pris un le revend, c'est que vraiment il ne vaut pas du tout la peine d'être lu.

Je finirai cette diatribe en reprenant le titre choisi par FranceTVInfo pour l'article dans lequel j'ai repris une phrase citée par un gérant associé d'une librairie, qui nous dit "Livres : bientôt des frais de port à trois euros pour soutenir les libraires". Et je pose une question qui, je pense, est tout à fait légitime : à quand le soutien aux écrivains indépendants ? Tout cela pour dire que cette décision sur les frais de port pour les livres me met très en colère en tant qu'auteur indépendant, et commence à me faire réfléchir sur le fait de continuer ou non à proposer mes livres au format physique au marché français. Et dire que fut une époque pas si lointaine, je n'envisageais absolument pas de les proposer au format numérique... Finalement, peut-être que je me contenterai uniquement du numérique au bout du compte. J'attends de voir comment les choses vont évoluer pour réfléchir plus posément à cette question. En attendant, mes livres restent disponibles au format physique sur Amazon, mais aussi chez mon imprimeur historique qu'est TheBookEdition, mais aussi BooksAMillion, en plus de l'être au format ebook sur pas mal de plateformes.

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